Histoire de la Colline d’Hennemont et du Lycée International


La colline d’Hennemont remonte à l’histoire pluriséculaire, voire millénaire, de l’Ile-de-France; un culte païen se trouve sur ce mont avant la christianisation. Nous sommes sur le point haut de la commune de Saint-Germain-en-Laye, à près de 200 mètres, surplombant de 60 mètres le rû du Buzot, limite entre deux tribus gauloises : les Parisii et les Carnutes, près de Fourqueux. La route gallo-romaine Lutèce-Normandie passe au nord de cette colline.

Sous les Mérovingiens, aux VIIe et VIIIe siècles, le mont disposerait d’une tour de guet et serait christianisé. Fin XIIe siècle, une chapelle est construite; à la fin du XIIIe siècle, le roi Philippe le Bel lègue la propriété, avec un donjon en ruines, à Peronnelle de Géry, gouvernante des enfants royaux. 

En mars 1308, un prieuré de quelques moines, de l’ordre du Val-des-Ecuyers, est fondé par cette gouvernante. Ce prieuré est important jusqu’au milieu du XVIIe siècle : les moines prient et ont la charge de la chapelle royale du château de Poissy puis du château de Saint-Germain-en-Laye, jusqu’au règne de Louis XIII. De nombreux moines et seigneurs sont enterrés dans ce prieuré, comme Antoine de Buade-Frontenac, ami d’Henri IV, gouverneur de Saint-Germain-en-Laye, grand-père du comte Louis de Frontenac, un des plus célèbres Français, créateur de la Nouvelle-France au Québec.

Mais le prieuré subit les injures du temps: destruction par le Prince de Galles en août 1346, dégâts au cours des premières guerres de Religion (1562-1567), abandon lors de la première moitié du XVIIe siècle avec la Fronde. Sous Louis XIV, né à Saint-Germain-en-Laye, ce petit monastère revit une période de prospérité

Bibliothèque nationale de France, nouv. acquis. 5012,  R7791, gallica.bnf.fr, ANTOINE, Histoire des Antiquités…, illustré, 1728, fol. 154

Avec la Révolution française, le prieuré et ses bâtiments, ses terrains, sont en ruines; ils font partie de la cure de Port-Marly. Les vingt hectares sont vendus comme biens nationaux à dix propriétaires. Ce sont au XIXe siècle : une anglaise Howatson en 1820, l’éditeur d’Honoré de Balzac, Charles Gosselin, également président de la Société d’horticulture de Saint-Germain-en-Laye, Paul Baron-Larcanger qui construit le premier château.

En 1905-1907, l’architecte Henri Duchampt construit le château, en pierre et brique, de style composite, pour le pharmacien Henri-Edmond Canonne (1867-1961). Ce dernier est l’inventeur de la pastille Valda contre la toux en 1904, qu’il commercialise rue Réaumur à Paris.

En 1928, le Maharadjah de la principauté indienne d’Indore Holkar Tukoji Rao III (1890-1971) devient le propriétaire jusqu’en 1951. Il organise de grandes réceptions en 1928-1930 qui défraient la chronique et agitent quelque peu ce quartier bucolique de Saint-Germain-en-Laye.

Le château et la propriété voient la venue de deux ministres en 1939. Le premier est Jean Zay, ministre de l’Education nationale, qui, à l’invitation du maire Jean Seignette, imagine un « Oxford français » à Saint-Germain-en-Laye, avec un grand projet de lycée de garçons pour tout l’Ouest parisien. Le deuxième est George Mandel, ministre des Colonies, lors de la Drôle de Guerre, où le château tient lieu d’hôpital des troupes coloniales. Il est à noter que ces deux ministres subissent lors de l’été 1944, le martyre.

Entre juin 1940 et août 1944, le château est occupé par l’armée allemande. L’unité  39.729 qui organise l’occupation allemande de tout le Nord-Ouest français rassemble plusieurs centaines de soldats et d’officiers (Schreiber, von der Lippe, Vierow, Hubertus von Aulock). Le personnel français (femmes de ménage, cuisiniers, jardiniers, chauffeurs) pratique la résistance passive ; quelque-uns même observent les Allemands, afin d’informer la Résistance. Des jeunes gens écrivent des graffiti anti-hitlériens sur les murs de la propriété dans la nuit du 24 au 25 juillet 1942. Fin 1943, des abris anti-bombardements sont construits ; un avion américain, abattu par la DCA allemande, s’écrase le 28 mai 1944, très près du château: six Américains sont tués. Lors de l’attentat raté contre Hitler le 20 juillet 1944, la confusion règne dans ce château parmi les Allemands, partagés sur la tenue à suivre ; une répression s’ensuit. Enfin dans la nuit du 5 au 6 août 1944, la Gestapo, la Feldgendarmerie, des auxiliaires français organisent l’attaque du maquis d’Orgerus à partir du château: trente-deux résistants dans ce maquis de l’ouest de la Seine-et-Oise sont pris et déportés, deux seulement reviennent.

Après la Libération de Saint-Germain-en-Laye, le château est réquisitionné du 8 septembre 1944 au 21 janvier 1946 par les Anglo-Saxons. D’abord les Britanniques. L’amiral Sir Bertram Ramsay, organisateur du rembarquement à Dunkerque en juin 1940, puis second du Débarquement du 6 juin 1944, y organise son état-major ; le château prend le nom de « H.M.S. Liberty » du nom du vaisseau amiral le jour du Débarquement. L’amiral Ramsay meurt le 2 janvier 1945 dans un accident d’avion à Toussus-le-Noble et est enterré au pied de la colline d’Hennemont, au nouveau cimetière de Saint-Germain, en présence des généraux Eisenhower et Koenig, le 8 janvier 1945.

En janvier 1945, ce sont les Américains qui remplacent les Britanniques. Il est à remarquer que le général en chef, le général Eisenhower, présent à Saint-Germain-en-Laye lors de l’offensive du maréchal Von Rundstedt, est vraisemblablement présent sur cette colline, vers mi-décembre  1944 et surtout le 8 janvier 1945. Deux inventaires du château de 66 pièces peuvent être retrouvés aux Archives municipales décrivant les pillages et les vols entre 1940 et 1946.

Le destin de ce château est transformé au cours de l’année 1951 grâce au général Eisenhower. L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) s’installe dans l’Ouest parisien à travers le « Suprême Headquarters Allied Powers in Europe » (SHAPE) (Etat-Major suprême des Forces alliées en Europe). Un « SHAPE village » d’officiers « alliés », plutôt américain, est construit en quelques mois autour du château : le village d’Hennemont. Deux architectes Jean Dubuisson et Félix Dumail, soutenus par le ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme Claudius-Petit construisent 263 logements, dix bâtiments, avec les crédits du plan Marshall. La prouesse architecturale, en termes de modernité et de rapidité, fait date : c’est un des chantiers-pilotes pour un des tout premiers grands ensembles, industriels, de qualité. Le général Eisenhower, enchanté de ce projet en juin 1951, découvre la maquette du village sur la colline d’Hennemont, sur place, le 14 septembre 1951 et inaugure le « SHAPE Village » le 31 octobre 1951.

14 septembre 1951, le général Eisenhower et le ministre Claudius-Petit devant le plan des constructions de SHAPE-Village (archives privées Mary J. Allen)

C’est au cours de cette période que le général Eisenhower demande au trésorier de SHAPE, l’amiral Guillaume Le Bigot, de créer une école internationale afin d’unir les militaires de douze nationalités différentes. Le général Eisenhower prononce alors une formule mythique pour le lieu, relatée par Guillaume le Bigot: « un village, une chapelle, une école ». Le professeur agrégé d’anglais René Tallard devient le premier directeur de cette école internationale « annexe », qui ouvre le jeudi 17 janvier 1952.

Cette école et ce village voient des oppositions, au sein du conseil municipal de Saint-Germain-en-Laye et surtout lors de l’arrivée du nouveau général, commandant de SHAPE, Matthew Ridgway, en mai 1952: des graffiti anti-américains sont notables sur la propriété. Les fameux « US Go home » sont alors nombreux dans les environs.

Quant au château, il devient à la fois école internationale et « mess » des officiers alliés. Cette cohabitation dure de 1952 à 1958. Lors de cette dernière année, l’Education nationale devient affectataire du château.

Le village et le château d’Hennemont, avec l’école internationale, sont les témoins architecturaux, patrimonial, scolaire de cette forte présence interalliée dans l’Ouest parisien, entre 1951 et 1967. La décision du général de Gaulle de sortir de l’organisation militaire intégrée de l’OTAN le 7 mars 1966 met en danger ce « Lycée International de l’OTAN » (arrêté du 27 août 1962). Le nouveau proviseur Edgar Scherer arrive à sauver le nouveau « Lycée International d’Etat » (arrêté du 16 avril 1968) en quelques mois, en remplaçant les sections militaires par des sections civiles. Le village change de propriétaires et de locataires. Le Lycée International autour de son château-symbole survit.

Un village, une chapelle, une école

Général Eisenhower, 1951

Mai 1968 se passe en interne ; les parents d’élèves et les éducateurs arrivent à contenir les énergies. Les années 1970 voient le Lycée International devenir un lycée d’excellence et d’avant-garde pédagogique internationale. La réussite du « Français Spécial » aux jeunes étrangers est impressionnante. De même les résultats des élèves au concours général (une douzaine de primés chaque année). Le nombre des sections nationales progresse : cinq en 1968 (allemande, américaine, belge, britannique, néerlandaise), italienne en 1968, suédoise en 1971, portugaise en 1973, espagnole en 1980, danoise et norvégienne en 1984-1985, japonaise en 1993, polonaise en 1998, chinoise en 2010, russe en 2011. Le lycée tend de plus en plus à devenir le « navire amiral » de toute une région scolaire internationale, avec des sections nationales créées au sein des collèges de Saint-Germain-en-Laye (Les Hauts Grillets, Marcel Roby) et du Pecq (Pierre et Marie Curie) et des écoles (Schnapper et Jean Moulin à Saint-Germain-en-Laye, Charles Bouvard à Fourqueux, Félix Eboué, Jehan Alain et Normandie-Niémen au Pecq, sans oublier les « externés »). L’association des Parents d’Elèves du Lycée International est très active, de même les associations des différentes sections nationales.

Le château et le lycée sont les lieux de nombreuses visites.

Quant au château, il voit une première restauration en 1990 pour le rez-de-chaussée via le « salon rouge » et l’important amphithéâtre. Mais les classes élémentaires ne peuvent plus être menées dans les étages, abandonnées, vu les conditions matérielles défectueuses. Des colloques sur l’enseignement international sont cependant organisés au rez-de-chaussée entre 1989 et 1994. Une cité scolaire internationale est à la charge de la gestion du département des Yvelines par l’arrêté préfectoral du 30 septembre 2005.

Celles du président Valéry Giscard d’Estaing le 6 mai 1980, est mémorable, comme le relate Le Journal de St-Germain. Nous voyons également celles du président de la République portugaise Mario Soares le 19 octobre 1989, de la reine de Suède Silvia le 16 mars 1994. Neuf ministres de l’Education nationale gravissent la colline d’Hennemont avec son château : Jean Zay (17 janvier 1939), André Marie (8 mars 1954), René Haby (14 mai 1977), Christian Beullac (6 mai 1980), René Monory (12 avril 1988), Jack Lang (20 mai 1992), François Bayrou (9 décembre 1993), Xavier Darcos (11 septembre 2002), Gilles de Robien (11 juin 2006).

Huit proviseurs ont marqué de leur empreinte toute la colline d’Hennemont : René Tallard (1952-1965), Edgar Scherer (1965-1989), Jean-Pierre Maillard (1989-1997), Patrick Charpeil (1997-2001), Yves Lemaire (2001-2012), Joël Bianco (2012-2016), Isabelle Negrel (2016-2019) et France Bessis depuis 2019.